Critique d'art
Scènes se reflétant dans une lumière nommée obscurité– l’univers éclatant du cœur
par Atsushi Takeda (critique d'art)
La première fois que j’ai regardé les œuvres de Patrick Gerola un sentiment de joie m’a submergé – une expérience qu’au fond je n’avais jamais vécue auparavant. En un mot, cette joie émanait avant tout de l’éclat et de l’intensité des couleurs. Son sens de la couleur est empreint de mystère, car malgré leur forte intensité ses tonalités tendres et élégantes sont profondément apaisantes et de toute évidence un régal pour mes yeux. En deuxième chef c’était aussi le caractère esthétique de son trait de pinceau. Dans certains de ses tableaux – mais dans certains seulement –je devine les lignes vivantes que les mouvements de ses bras ont créées en se déplaçant et en sautant avec légèreté, tandis qu’à d’autres moments on dirait qu’ils pèsent une tonne. Quoi qu’il en soit, dès que je regarde ces lignes je me sens bien. En troisième lieu, l’origine de cette sensation de joie réside dans le monde mystérieux qui se cache dans la toile. Avant d’aborder plus en détail ces trois éléments qui m’ont tellement fasciné, je veux donner un bref aperçu de la vie et la carrière de cet artiste.
Patrick Gerola est né à Bruxelles, en Belgique. En 1983, il arrive au Japon à l’âge de 24 ans où il vit depuis lors et y travaille en tant qu’artiste. Il faut souligner que son épouse soutien vivement le succès de l’artiste, chanteuse japonaise, qu’il rencontra et qu’il épousa peu de temps après son arrivée au Japon. Bien qu’il soit considéré comme un peintre, il est actif aussi dans d’autres domaines artistiques : la sculpture, les arts graphiques, la scénographie et les installations. Il saisit toujours les occasions qui s’offrent à lui. Mais s’il devait n’en choisir qu’une, ce serait la peinture. Le Japon est sa base d’activités, mais alors que ses œuvres commençaient à être exposées en dehors ce pays, sa sensibilité unique a suscité un intérêt grandissant auprès de plus en plus de gens.
Comme cela est mentionné dans sa biographie, sa mère était peintre et son frère aspirait aussi à devenir peintre. Mais malheureusement sa mère, d’une grande beauté, décéda alors qu’il était encore enfant. Son frère vit depuis des années en Italie où il a réussi à faire carrière en tant qu’artiste peintre. Patrick a donc grandi dans un milieu qui de façon tout à fait naturelle l’a rapproché à l’art. Étudiant d’abord à l’Académie royale des Beaux-Arts et d’Architecture de Bruxelles, il travaille à partir de 1981 pendant deux ans comme scénographe. Je suis certain que le partenariat avec un chorégraphe qui, à l’époque, était directeur artistique du Ballet de Maurice Béjart – très connu au Japon – s’est révélé extrêmement bénéfique et de grande valeur dans son désir de faire un jour une carrière de peintre.
Cette expérience semble l’avoir aidé à développer inconsciemment d’approfondir son sens de la couleur, de l’espace, du mouvement et de la structure, tout en le rendant plus conscient des effets de scène. La source de toutes ses œuvres – bi et tridimensionnelles – est toujours créé d’inspiration tridimensionnelle. J’ai l’impression qu’il garde constamment en tête la perspective d’une tierce personne. Il pense en permanence combiner la composition de ses œuvres, l’espace dans lequel elles se situent et ce regard d’une tierce personne. Dans ce processus d’exploration artistique il ne s’autorise pas de compromis. C’est incontestablement grâce à son activité de scénographe qu’il a développé la maîtrise de la mise en scène de ses œuvres, un élément qu’il a pendant tout son parcours artistique toujours mis en pratique.
Pour revenir sur la première des trois spécificités dont j’ai parlé au tout début, j’ai appris que le secret de ses tonalités éclatantes se trouve dans le fait qu’il prépare ses peintures lui-même. Il mélange de la résine à des pigments : son invention, qu’il puise dans la technique picturale „al fresco“. Appliquées sur la toile, ces couleurs procurent une impression de grâce et d’éclat. D’une certaine façon elles me font penser aux couleurs que j’ai vues dans les modèles italiens. La maîtrise de l’intensité de la lumière dans l’acte de peindre joue également un rôle essentiel.
À titre d’exemple, non seulement il n’aime pas l’intensité des couleurs créée par une luminosité uniforme comme celle du plein jour, mais il la juge avec scepticisme. Il leur préfère plutôt différentes lumières feutrées, pour en apprécier l’effet qui apparaît en trois dimensions. En travaillant dans cette ambiance il réussit à créer des couleurs d’une fraicheur extraordinaire qui domine la toile. Je décris ce phénomène comme étant celui de couleurs magiques qui se reflètent dans une lumière nommée obscurité.
Quant à la beauté esthétique de son trait de pinceau je pense qu’elle est le reflet de la sensation dynamique et physique qu’il a vécue lors de son contact avec l’art de la danse moderne dont j’ai parlé plus haut. Dans la danse moderne, les mouvements du corps, libres et esthétiques dans un espace tridimensionnel, sont exprimés de façon rythmique dans un cadre à deux dimensions qui restent intactes. Les traits de pinceau en combinaison avec les couleurs vives et éclatantes font de la toile une scène de spectacle.
Pour ce qui est de la troisième spécificité de son œuvre – un monde au delà de la toile – je suis sûr que quiconque regarde suffisamment longtemps ses tableaux peut ressentir ce monde. Au début on voit évidemment une œuvre plate et graphique. Toutefois, petit à petit, on commence à sentir que notre regard et notre esprit sont entraînés dans un monde qui se cache derrière la toile. On se sent porté de l’autre côté d’un paysage inconnu, bien que ce paysage ait un aspect surréaliste : le flanc d’une montagne couvert d’un tapis de fleurs aux couleurs vibrantes contrasté par un ciel complètement dégagé teinté de couleurs soutenues, ou un paysage réaliste aperçu derrière de simples arbres qui semblent avoir été collés. Pour moi ces expressions à la fois audacieuses, directes et simples sont profondément uniques. Simultanément la mystérieuse aura qui émane de la toile ressemble en quelque sorte à la surprise sophistiquée et au sens de l’humour qui caractérisent la tendance des célèbres artistes belges qui l’ont précédé, comme Magritte et Delvaux. C’est probablement un des charmes que les amateurs de son œuvre apprécient vraiment.
Patrick Gerola saisit tout ce qu’il ressent et chaque idée qui surgit en lui, sans jamais plus l’abandonner. Il intègre dans son corps toutes les couleurs qu’il voit et tous les sons qu’il entend de la vie quotidienne. Tous les éléments naturels qui l’entourent renaissent dans ses œuvres. A maintes reprises, la tradition, le paysage et coutumes du Japon – le pays où il vit – le touchent. Selon toute vraisemblance son inspiration, en d’autres termes les sentiments suscités par ce qui inspire l’esprit de l’artiste, s’incarne sous forme de lignes et de couleurs dans ses œuvres.
Le même phénomène est visible également avec sa culture d’origine. Les Manneken Pis – la petite statue emblématique de Bruxelles que tous les Japonais connaissent – ont repris vie au Japon sous forme de statues gigantesques de plus de deux mètres de haut. Bien entendu, elles sont ses propres ‘objets d’art’. D’ailleurs ces Manneken Pis sont complètement revêtus de peintures de Patrick Gerola et jouissent de leur seconde vie. Nées au Japon, ces peintures constituent la forme la plus naturelle d’échange culturel entre la Belgique et le Japon.
Pour revenir sur le sujet de la « lumière », Patrick Gerola dit que l’élément dont il est le plus conscient quand il crée une œuvre d’art est la « lumière ». Peut-être la lumière imaginée qui apparaît dans la scène imaginaire de sa toile est une des formes de lumière jetée sur son esprit. Chez les artistes belges, il affirme que son peintre préféré est Pieter Bruegel. Il dit avoir visité des villages belges pour retrouver les paysages représentés dans les tableaux de Bruegel. Même si le monde et la lumière exprimés dans les toiles de Bruegel sont très attirants, ce que m’a le plus impressionné lors de ma première visite à Bruxelles était l’éclairage public en ville. C’était plus une vraie illumination que simplement de la lumière.
Mes yeux ont été frappés par tous ces minuscules points rouges que formaient les réverbères quand, en pleine nuit, le taxi arriva en ville depuis l’aéroport. Et c’est à ce moment précis que j’ai vraiment senti que j’avais compris la culture et le climat suspendus au-dessus de ces lumières fantastiques et des mystérieux peintres belges. C’est pour cette raison que je crois être enclin à regarder les tableaux de Patrick Gerola à travers ma propre vision des lumières de Belgique.
Tokyo, Juin 2016